MON AMI RALPH
Ralph SULTAN, mon ami, mon collègue des heures douces et parfois acides lorsque nous travaillions côte à côte et simultanément au DEJJ et au Centre Communautaire de Paris…
Avec lui, un large sourire suffisait à survoler les nombreux imbroglios qui nous désespéraient.
Nous avons lié connaissance dans un camp d’été près de Rabat.
Si nos chemins se sont souvent éloignés, les retrouvailles se convertissaient en vraie fraternisation.
Lynclair ,auprès de qui il travaillait, lui avait confié la responsabilité en 1956 du rassemblement de la jeunesse à Anfa (quartier de Casablanca), C’est à cette occasion que les responsables de la communauté juive, affirmaient au Prince héritier (futur Hassan II), la volonté des Juifs du Maroc de s’engager pleinement pour la reconstruction du nouveau Maroc, à la fin du protectorat français.
Ayant appris mon retour de Paris, après mes études, Ralph m’invita à le rejoindre. Et c’est à Anfa qu’il me présenta celle qui devint mon épouse.
En 1960, nommé à la direction de l’École des Beaux-Arts de Casablanca, je retrouvais naturellement Ralph à qui je pouvais offrir du matériel et surtout des documents et revues inconnus au Maroc.
J’avais à Casablanca la mission de lancer et d’inaugurer les activités musicales et artistiques.
Ralph étudiait à cette époque la flûte traversière.
Jean-Pierre Rampal, célèbre flûtiste de musique classique français, y donnait un concert.
J’ai invité Ralph à m’accompagner et après avoir interprété la Sicilienne de Gabriel Fauré, Jean-Pierre Rampal vint nous saluer…
J’ai vécu cette même émotion quand j’ai eu à filmer,des années plus tard , Artur Rubinstein , chez lui à Paris.
Lynclair et ses équipes furent associés à l’accueil des juifs d’Algérie en Métropole.
La visite officielle de Nasser au Maroc, en Septembre 1965, avait modifié la situation de tous les cadres juifs, dont le mien.
Je me suis joint à cette équipe composée d’amis ignorant le statut qui nous serait accordé dans cette aventure.
Notre arrivée en 1962 ne fut pas perçue comme elle le devait.
Se placent cependant les heures hors du commun de Boltigen 1 ; Boltigen 2 ; Levens ; le Suquet…
Au Centre communautaire comme au DEJJ, nos prestations étaient jugées souvent avec indifférence ou dérision…
Un service du Fonds social gérait les aides pour l’habitat.
Mes demandes de logement se heurtaient à un mur « supposé d’intégrité ».
En démontrant les multiples passe-droits qui se pratiquaient, je fis un petit Watergate.
Le directeur vint le soir même me proposer une liste de plusieurs appartements libres. Je fis mon choix pour une résidence qui sortait de terre près de La Haye les Roses, mais, à la condition, que Ralph, qui vivait chez l’habitant, devienne mon voisin.Nous sommes restés voisins quelques mois, mais ma situation sociale ayant changée j’ai dû m’installer à Paris.
Les structures du DEJJ éclatèrent après la Guerre de Kippour sous la poussée conjointe de l’Agence juive, des mouvements de jeunesse sionistes et des dissensions entre Lynclair et les responsables du Fonds social.
Beaucoup de cadres partirent vers d’autres horizons.
Ralph et Monique choisirent le Canada.
À Ralph fut confiée à Montréal l’animation des activités pour le 3e âge
Il apportait ainsi toute son expérience et sa sensibilité aux programmes et cultures séfarades.
Mon épouse venait de publier « Saveurs de mon enfance » le premier livre sur la cuisine juive marocaine. Ralph souhaitait l’inviter, mais ses libertés financières étaient très réduites…
Nous organisâmes le voyage que nous souhaitions faire dans ce pays, la découverte du nouveau musée de Toronto… Et notre récompense fut, à Montréal, la sublime « dafina » de Monique qui éveilla les racines profondes enfouies en chacun de nous.
Ma joie fut aussi de découvrir l’atelier installé par Ralph qui à partir de tubes « sterling » donnait naissance à divers objets liturgiques.
Je reste persuadé que le temps lui a manqué pour s’ouvrir à l’art sacré juif des champs nouveaux.
Ralph et Monique firent un saut à Paris pour assister à une fête familiale.
La fatigue gagnait déjà Ralph et les réceptions prévues pour eux annulées
L’annonce de son décès fut un jour triste, grave et douloureux
Je suivais en pensée la tribu des Sultan qui accompagnait l’ami vers cette montagne de Jérusalem…
Ils laissèrent ensuite Monique et Éric, seuls et à leurs chagrins…
Malgré les ans, cette image heurte le plus profond de moi…
Maurice ARAMA
Enseignant, journaliste, directeur de l’École des Beaux-Arts de Casablanca, historien d’art et Conseiller du Président de la République gabonaise